Folie intime
Conversations avec ceux qui ont basculé
Professeur Henri Nhi Barte / Gérard Burtheret
First Edition, septembre 2002.
Ceux qu'il ne faut pas oublier
Les imbéciles, les idiots, les débiles p.293 à 296
C'est ainsi qu'au XIX
ème siècle on appelait les retardés mentaux, gens sans histoire, sans passé, sans mémoire, sans avenir. Dans des observations médicales des années cinquante, on trouve encore ces termes, "imbécillité profonde", "idiot inéluctable". Que l'on n'y voit pas un jugement de valeur, il ne s'agit que d'un diagnostic basé sur une classification du siècle dernier. Mais, malgré tout, nous y percevons une connotation très péjorative. Les plus atteints étaient les imbéciles, terme qui, par glissement du langage, est devenu une insulte et aujourd'hui un terme bien anodin. On utilise d'avantage celui de "débile" pour caractériser une personne dont nous n'apprécions pas le comportement. Dans cette classification, les plus légèrement atteints étaient les débiles, ceux que l'on appelait aussi "les idiots du village", et qui avait leur place dans la société autrefois.
De nos jours, pour l'ensemble de ces personnes, on emploie le terme de "personnes polyhandicapés", ce qui, à mon sens, n'est pas seulement un glissement sémantique -on peu comme on dirait "technicien de surface" à la place de "balayeur" -, mais c'est le terme exact qui convient. Au même titre qu'une personne qui se déplace en fauteuil roulant a un handicap moteur, ces patients, dont il va être question, ont un handicap mental, et plutôt sévère. Mais, après tout, combien sommes-nous à être capables d'écrire une symphonie, même une simple partition ? La plupart d'entre nous sont bien plus que débiles dans ce domaine-là. Eh bien, ces patients ne peuvent pas effectuer la plupart des opérations cognitives qui les feraient entrer dans les normes statistiques et reconnaître comme étant "normalement intelligents". Mais même si on ne sait pas composer de la musique, on peut l'aimer, la ressentir. C'est pareil pour eux. Même quand ils ne sont pas capables de penser, ils peuvent comprendre beaucoup de choses, presque tout. Ils son sensibles, peut-être plus que nous. Ce sont des êtres humains, je vous le jure ! Ce sont juste des humains atteints du pire des handicaps. Bien entendu, ils "percutent" moins vite, mais on pourrait dire qu'ils comprennent autrement que nous. Leur appréhension de l'environnement se passe des mots.
Si l'on dit "polyhandicap", c'est malheureusement parce qu'il y a plusieurs handicaps associés. Il y a souvent des troubles de la tonicité qui empêchent la marche. Alors, ils se traînent par terre. Certains ne supportent pas leurs vêtements, ils les déchirent, les mangent, alors on les laisse nus. Ca ne fait pas beau pour les visiteurs. Mais que faut-il faire ? Les enfermer dans leur chambre pour que le regard de ces visiteurs ne les rencontre pas ? Non, on les laisse en permanence comme ça. On ne va tout quand même pas rajouter du malheur à leur malheur. Certains hurlent à côté d'autres qui se balancent. D'autres encore frappent de toute leur force contre les portes de toute leur force. Beaucoup on des problèmes de stature et ne peuvent se tenir droit. D'autres malformations diverses s'ajoutent la plupart du temps. Et l'épilepsie, si elle n'est pas traitée, prévenue, est omniprésente. Rares sont les mois où l'on ne va pas emmener l'un d'entre eux aux urgences pour recoudre une plaie due à une chute brutale.
Le pire, c'est qu'ils sont conscients de leur état ; cela, j'en suis certain, même s'ils ne peuvent le dire.
La personne dont je vais vous parler maintenant parle... un peu.