Signes des temps
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    Professeur Henri Nhi Barte / Gérard Burtheret
Folie intime
Conversations avec ceux qui ont basculé


Professeur Henri Nhi Barte / Gérard Burtheret
First Edition, septembre 2002.



Vous prendrez bien un peu de théorie p.15 à 20
   Ce livre tourne autour d'une idée et d'une seul, très simple : si simple qu'elle ressort davantage du bon sens commun que de la psychologie. : tous, les grands et les petits, les gros et les maigres, les beaux et les pas beaux, nous sommes mus par une force qui nous fait devenir ce à quoi nous aspirons, ou qui tend à maintenir ce que nous sommes déjà. Son objet, ce à quoi elle s'applique, c'est ce que nous appelons notre moi, ce par quoi nous croyons exister, qui, par les souvenirs engrangés, les identifications et leur avatar, notre caractère, constitue ce que nous montrons aux autres. Le moi est à la fois source de notre identité individuelle et de notre identité sociale. Cette force, nous l'avons appelé, pulsion d'être.

   Nous-nous croyons éternels ; c'est à dire que nous pensons que notre moi durera toujours ; pourtant il est fragile et ne tient qu'à peu de chose : dans la maladie d'Alzheimer, qu'il y ait des pertes de substance nerveuse, et on le voit douloureusement disparaître, jour après jour, chez ceux que nous aimons ; même les mères finissent par ne plus reconnaître leurs enfants. Dans la folie, dans les folies comme dans les démences, le moi est menacé d'émiettement, de disparition : cette force vitale vise à le réparer. La source de cette force, comme son objet, c'est le moi lui-même ; ce qui la motive, c'est une angoisse de mort, de disparition qu'éprouve ce moi-même. Quand nous disons "mort", ce n'est pas celle du corps, du soma, que nous évoquons, mais celle de notre identité, de notre individualité.

   Il en est des individus comme des sociétés. Il suffit de regarder aujourd'hui de par le monde ; la plupart des conflits sont des conflits d'identité ; des identités menacées de disparition. Il importe peu que cela soit vrai ou non ; il suffit qu'une collectivité se sente faible pour que la moindre intrusion d'une culture étrangère provoque en elle l'émergence d'une angoisse de disparition. Et il est difficile, presque impossible, de négocier avec un groupe qui se croit menacé de disparition. Là, il ne s'agit plus de conflits de pouvoir, de rapports de force, qui, eux, peuvent se concevoir davantage sur un mode névrotique, et donc donner lieu à négociations.

   Ce moi auquel nous sommes tant attachés ne tient en fait qu'à l'aide de quelques mécanismes de défense. Ces mécanismes de défense eux-mêmes sont élaborés en fonction du type d'angoisse existentielle que nous éprouvons habituellement. Quant à cette angoisse existentielle, elle dépend du genre de relation que nous avons avec les autres. C'est bien de tout notre être au monde dont il est question. Et notre moi n'est pas si solide que nous le pensons. Il est même assez fragile.

   Pulsion d'être, avons-nous dit. Pulsion qui nous donne notre raison d'être. Rien n'est plus complexe, dans la théorie psychanalytique, que la théorie des pulsions. Nous allons être ici obligé de la parcourir, au moins rapidement.

   Il y a deux temps dans la pulsion : d'abord, une excitation interne, la plupart du temps d'origine somatique ; puis un mouvement nécessaire en vue de calmer, de réduire, d'anéantir cette excitation. La pulsion est un concept entre la limite entre le psychique et le somatique. Freud est parti du concept de "pulsion partielle" liée à une zone érogène du corps, ce qui a permis d'élaborer l'idée de "stade", et de fixation à l'un d'entre eux, ou de régression, dans certaines pathologies. A la bouche corresponde la succion et le stade oral primaire, mais également, dans un deuxième corps, avec l'apparition des dents, le stade oral secondaire, avec les envies de mordre ; l'anus est lié à la douleur, à la perte des fèces et au stade sadique anal, au pénis, avec les jets d'urine, correspond le stade phallique. Puis, avec le plaisir éprouvé par la zone génitale, surviendront les pulsions génitales qui permettent d'aller à la rencontre de l'autre en tant qu'objet entier. Le but ultime de ces pulsions est de disparaître et de réduire l'excitation. Exactement, dit Freud, comme tout concourt à un retour vers l'inorganique. Tout irait vers la mort. Freud nous offre la magnifique métaphore des saumons : le but ultime de leur existence est de retourner à leurs eaux originelles pour s'y reproduire. Le corps entier, qui va mourir, est au service du germen, des cellules reproductrices. Et le plaisir, la libido, si centrale chez Freud ? Eh bien, elle ne serait qu'une toute petite prime de plaisir. La nature nous dupe.

   Mais cela n'est pas si simple et ne va pas toujours de soi. Pour avoir observé des patients autistes, nous avons bien repérer les deux temps de la pulsion. Par exemple, nous avons observé l'un d'entre eux tournant sans but autour de la pièce. A un moment, passant à côté de la cafétéria des infirmières, il aperçoit du pain. Il n'avait pas faim, ayant déjeuné depuis moins d'une heure, mais le demande du pain pour qu'on lui en donne un morceau et avoie ainsi le sentiment de se remplir, de se sentir exister par le tube digestif : "Du pain !" Pour lui, c'est un impératif : il en veut, il lui en faut, et tout de suite. Mais ce n'est pas l'heure ; on lui refuse ce morceau de pain ; il devra attendre. Du coup, il reste avec sa excitation interne et ne peut aller au bout de la pulsion. Certains diront qu'au travers du pain, c'est de la permanence de l'image maternelle qu'il est question. Je pense plutôt qu'il a besoin de se sentir contenant pour se sentir exister. Si on lui refuse le pain, c'est pour lui mettre en place un cadre thérapeutique, pour tenter de créer une ébauche de refoulement, et donc de subjectivité. Ce n'est pas pour le brimer, bien au contraire. Mais avec l'excitation non liquidée, commence la crise, ce que les auteurs anglo-saxons nomment tantrumming. Le patient ne peut élaborer le manque et, ne pouvant se remplir, il se met à hurler et à se mordre. Ici, la douleur la douleur physique lui permet de supporter la souffrance psychique. Il y a une excitation : il éprouve une angoisse d'annihilation. Il lui faut se remplir. Le morceau de pain, pense-t-il, lui apporterait une satisfaction. Il faut noter que le refoulement ne fonctionne pas chez les autistes (en particulier dans les cas les plus graves), refoulement qui permettrait la constitution d'un moi sous la forme d'un cogito. A défaut, on se contente d'essayer de leur faire réprimer leurs pulsions, c'est-à-dire de supporter l'attente pour maintenir un minimum d'humanité dans ces services qui sont si durs.

   Les autistes nous apprennent qu'il faut un minimum de sentiment d'être sujet pour être l'auteur d'une action, pour mener à terme une pulsion. Mais eux, ils ne le peuvent pas. Ils en restent à la première phase de la pulsion, l'excitation, ne sachant qu'en faire ni même la liquider.

   L'exemple du pain avec le patient autiste se situe plus du côté du besoin que du plaisir. Ce n'est pas une pulsion sexuelle. Dans le domaine des pulsions sexuelles, on parle bien de "pulsion irrépressible" chez certains pervers. Mais, en principe, les pulsions sexuelles, ou à visée de satisfaction, de plaisir, peuvent donner lieu à une répression, à un refoulement, voire à une sublimation. Tel est le cas, par exemple, de l'artiste qui peint des nus.

   A l'opposé, les pulsions du moi ne permettent aucun refoulement. Les pulsions sexuelles sont conservatrices puisque leur but est un retour à un état étale, au statu quo ante ; ce qui n'est pas toujours le cas pour les pulsions du moi, comme nous allons le voir. L'exemple cité par Freud pour les pulsions du moi est la faim (pulsion d'autoconservation). Ces pulsions sont également conservatrices : maintenir le moi. Mais elles ont une limite : rassasié, on s'arrête de manger car, comme pour les pulsions sexuelles, il y aune satisfaction. Notre patient autiste nous demandera sans fin (et sans faim) de lui maintenir son sentiment d'exister. Sa pulsion du moi ne peut s'apaiser.

   C'est de ce côté là que se situe notre pulsion d'être. Elle est une pulsion du moi. A l'opposé de l'exemple donné précédemment avec la faim, elle ne connaît pas de trêve, et sa source n'est pas somatique. Peut-être est-ce pour ces raisons qu'elle échappe aux règles communes aux autres pulsions qui, toutes, visent leur extinction ou l'autoconservation du moi. Elle est le veilleur qui garde un œil ouvert pour maintenir notre monde interne en vie. Elle n'est pas une "pulsion de vivre", puisque l'on constate tous les jours que des individus sont capables de se mutiler, de se suicider ou de s'immoler pour être quelque chose. Des malades mentaux se suicident plutôt que de se sentir mourir psychiquement ou de vivre avec une identité aliénée ; des kamikazes se suicident pur une cause, c'est à dire pour confirmer leur "être comme appartenant à une entité ethnique ou religieuse".

   Pour bien comprendre pourquoi la pulsion d'être n'est pas liée au principe de nirvana, c'est à dire à l'anéantissement de toute excitation, il nous faut reprendre le texte de Freud de 1920 : "Au-delà du principe de plaisir". Si nous ressentons bien des pulsions de vie (Eros), tant elles sont bruyantes dans leurs manifestations, nous ne percevrions la pulsion de mort (Thanatos) que par ses résultats. Sinon, comment expliquer le masochisme, le sadisme, qui ne serait que la projection de la pulsion de mort vers l'extérieur, ou encore les répétitions ? Et puis, les pulsions sexuelles sont-elles du côté des pulsions de vie ou du côté des pulsions de mort ? Tout comme les pulsions du moi, sont-elles des pulsions de vie ou des pulsions de mort ? Mais en définitive, pulsions de vie et pulsions de mort sont étroitement intriquées. On ne peut pas les séparer si aisément. Ainsi, il y a de l'amour, mais aussi de la destructivité dans la sexualité. Tout cela est très troublant. Freud, même athée, était issu d'une culture monothéiste. Jusque-là, la théorie psychanalytique dans son ensemble était moniste et s'appuyait sur une force : la libido. Et voilà que l'on passe à un dualisme pulsionnel assez proche d'une pensée orientale : un peu de yin dans le yang et un peu de yang dans le yin.

   Pour s'y retrouver, disons que la pulsion de vie est dans tout ce qui lie, dans tout ce qui relie : les êtres, les pensées ; et que la pulsion de morte est dans tout ce qui délie, dans tout ce qui dissocie. Et pourtant, cette dernière est indispensable, aussi indispensable que la pulsion de vie. Elle est présente dans le "non", dans la négation qui permet l'individuation de l'enfant. C'est elle qui permet les identifications aux autres en détruisant leur image par petits morceaux pour que nous puissions les mettre en nous par le mécanisme de l'introjection. Sans elle, aucun deuil ne peut se faire, aucune perte ne peut s'élaborer : quand la pulsion de mort achoppe sur ce genre de travail, la dépression survient, qui est un peu comme une "indigestion psychique", l'autre restant entier, comme dans une crypte en nous.

   Un auteur contemporain, André Green, dit que la pulsion de vie est "objectalisante", tandis que la pulsion de mort est "désobjectalisante". il veut dire que, puisque la pulsion de vie crée des liens entre les pensées, les concepts, elle tend à faire de ces pensées, de ces concepts, des objets, au même titre que des personnes. Elle permet donc de percevoir le moi comme un objet pour la personne qui pense, qui se pense. C'est donc elle qui crée le moi et le crée en permanence, sans jamais se mettre en repos, sans cesser jamais d'agir, à l'opposé des pulsions libidinales ou d'autres pulsions du moi (la faim).

   Par conséquent, nous dirons que la pulsion d'être, qui est notre sujet de réflexion, est une pure pulsion de vie. Elle ne connaît aucune intrication avec la pulsion de mort.

   Lorsque le moi est attaqué par la pulsion de mort et que l'on assiste à une dissociation de la pensée, comme dans la schizophrénie, par exemple, elle est présente et suscite les délires qui ne sont rien d'autre que des tentatives de reconstruction du moi et permettent de retrouver un semblant de sens.

   La pulsion d'être est aussi indestructible que le désir. Elle est la manifestation de ce qu'il y a de plus humain en nous. Dans les histoires que vous allez lire, nous verrons comment elle se manifeste pour maintenir de la vie psychique là où un œil non averti ne discerne que folie.










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