LA CRITIQUE TECHNIQUE
Par Philippe VIOLA
Louis NIELSEN, M.Sc., Senior Physics Master :
(http://www.rostra.dk/louis/quant_08.html)
THE UNITON
The elementary quantum building matter, fields and 'vacuum'
Si l'auteur est un Master of Science (M.Sc.), alors moi, je suis le Pape. Dans un anglais approximatif, il nous expose, très sûr de lui, "sa" théorie de "l'éther quantique". La physique classique avait débarrassé l'univers de la notion absolue d'éther, comme le rappelle d'ailleurs l'auteur dans son introduction, mais, grâce au Ciel, la physique quantique permet de la rétablir. En toute légitimité, bien sûr. Quoi de moins naturel, après tout ? L'ennui, c'est que, hormis le fait que l'auteur nous invite fortement à adhérer à sa conception personnelle du monde via l'utilisation systématique du verbe "must" ("devoir"), les "arrondis" dans les calculs sont très très grossiers, un manque d'approfondissement des théories "de base" apparaît clairement et le raisonnement est bricolé de sorte que ça marche (ou du moins que ça ait l'air de marcher). Bref, on a beaucoup de mal à croire que l'auteur possède bien un Master of Science, comme il le prétend, mais beaucoup plus de facilité à se dire qu'on a affaire à un canular diplômé de plus. Revue de la "holistic quantum cosmology" de l'auteur, qui, comme on va le voir, relève plus de la "mystic" que de la "holistic".
Pour commencer, là où tout le monde appelle graviton la particule vectrice de l'interaction gravitationnelle, l'auteur la renomme uniton. Pourquoi pas, si ça peut lui faire plaisir, du moment qu'il fournit le dictionnaire. Alors, son "uniton", c'est, selon lui, la plus petite quantité d'énergie dans l'univers et "LA" particule fondamentale à partir de laquelle TOUT est créé : matière, rayonnement, jusqu'au vide lui-même ! Là, c'est particulièrement fort, parce que la définition principale du vide quantique, c'est justement d'être l'état de plus basse énergie d'un champ physique où ce champ ne produit AUCUNE particule vectrice, seulement des fluctuations. Tout physicien théoricien le sait, qu'il travaille sur l'univers primordial ou dans des domaines beaucoup plus appliqués. Déjà, ça barre de travers d'entrée. Je sens dès le départ que ça va être la fête et, effectivement, je ne serai pas déçu.
"The uniton medium, which I describe, contains so much mass that the problems with the so-called 'dark matter' and 'missing mass' are hereby solved". Si "l'uniton" est le nouveau nom du graviton, alors c'est une particule de Bose (une particule de rayonnement) de masse nulle. On ne voit donc pas bien comment le problème de la "masse manquante" serait résolu de fait, comme le soutient l'auteur, non plus que le problème de la "matière sombre", puisque la matière... n'est pas du rayonnement : elle n'obéit pas à la statistique de Bose-Einstein mais à celle de Fermi-Dirac, qui ne diffère de la précédente que par le signe, certes, mais lequel changement de signe induit des comportements physiques radicalement différents. Qu'on parle d'énergie, d'accord, mais pas de masse, du moins pas dans le cas du "gravito-uniton" (ou "unito-graviton", c'est selon). Et puisque l'auteur démarre son exposé par un petit rappel historique, rappelons à notre tour qu'historiquement, le facteur de Lorentz (1-v2/c2)1/2 a été introduit par... Henri Poincaré, mathématicien et géomètre français. Les formules obtenues par Lorentz étaient fausses, Poincaré s'en aperçut immédiatement, les rectifia et les attribua à Lorentz. Par la suite, l'histoire inversa les rôles et imputa l'erreur de Lorentz à Poincaré.
Plus loin, l'auteur écrit qu'Einstein "redéfinit les concepts de distances, d'intervalles de temps et de masse, de telle sorte qu'ils soient compris comme des quantités relatives...". Non. Einstein n'a jamais relativisé l'espace, c'est Galilée, deux siècles avant lui. On va bientôt nous sortir que le Grand Albert a tout découvert, de l'eau chaude au fil à couper le beurre, en passant par la pilule du lendemain...
Ensuite, toute la cosmologie devient d'une simplicité enfantine : "Everything consists of unitons!". Voilà : tout consiste en unitons. Et la réponse DOIT ETRE celle-là ("the answer must be..."). L'avantage, c'est que ça évite toute discussion : c'est comme ça et pas autrement. Must be. C'est très "niveau recherche fondamentale". Je passe sur pas mal de formules littéraires du même acabit. Vous lirez (ou relirez), ça vaut le détour.
"I shall presume that there are N2 'matter particles' in the Universe": l'auteur suppose qu'il y a N2 particules de matière dans l'Univers, soit de l'ordre de 1084. Pourquoi ? Comme il ne donne aucune justification à ce choix, j'en déduis que ça "must be". Il note, par contre, que ce nombre est un million de fois plus élevé que celui d'Eddington... sans que cela n'ait l'air de le perturber plus que cela. Remarquez, notre auteur doit avoir les nerfs solides car, plus loin, il arrive à nous trouver (par le calcul, s'il vous plaît) une "température absolue" du vide dans l'Univers actuel de l'ordre de 10-29 K, soit un cent milliardième de milliardième de milliardième de Kelvin, extrêmement proche du Zéro Absolu donc, alors que chacun sait (livres grand public obligent) que cette température est celle du rayonnement fossile, mesurée par Arno Penzias et Robert Wilson en 1964-65 à... 2,7 K. Mais bon, comme dirait nos voisins et amis belges : "Alleye, une fois, c'est pas graève, ça ne faye qu'un écaert de 1029, c'est-à-dirrre, cent milliaères de milliaères de milliaères : eune gutte d'eau dans l'univaère !". "We see that the electron is built up by a huge number of unitons". En effet, de l'ordre de 1037 : dix milliards de milliards de milliards de milliards. Ah bin oui : faut ce qui faut. Par contre, il faudra expliquer pourquoi, dans les accélérateurs, les données expérimentales montrent que l'électron se comporte comme une particule "ponctuelle", c'est-à-dire, indécomposable (ou encore, fondamentale) et ce, d'autant plus que l'énergie des processus est plus élevée.
"As evident from the above it seems that I have rediscovered the universal ether". L'éther médical? Oui, ça semble en effet évident.
"Does a uniton have an electric charge?". C'est une bonne question qu'il serait temps de se poser, car, si tel est le cas, la répulsion électromagnétique entre 1037 particules de même signe confinées à l'intérieur d'un électron est probablement loin d'être négligeable...
"Is [the] electric charge a mechanical characteristic of unitons ?" Sans doute, s'il s'agit de monte-charge...
"Does a uniton have a spin; in the affirmative, how much ?" Bin, ça dépend: si c'est un graviton, il a un spin 2 chez Einstein (et 1 chez Viola, plus fondamental); si c'est une particule de matière, comme elle est supposée fondamentale, son spin est forcément ½. Mais vu que ça semble être les deux à la fois, "je ne saurais dirrre...".
Mais poursuivons. Formule (7), l'auteur trouve pour "l'extension géométrique" de son uniton ru = 2.42 10-17 m. Il en conclut que ce résultat est "apparemment du même ordre que l'extension d'un électron". Or, le calcul du rayon de l'électron par la formule re = q2/4πε0mc2 avec q : charge électrique, ε0 : permittivité du vide, m : masse de l'électron et c : vitesse de la lumière dans le vide, donne re = 2.82 10-15 m, soit environ 3 fermis : c'est cent fois plus grand que ru... D'un autre côté, si on utilise la formule de de Broglie re = h/mc, avec h : constante de Planck, on trouve cette fois re = 2.43 10-12 m. Quoiqu'il en soit, qu'on se base sur la formule de l'électrodynamique classique ou sur celle de de Broglie, on voit bien que le "rayon" d'une particule est d'autant plus petit que sa masse au repos est plus grande. Donc, plus une particule est lourde, plus son aspect corpusculaire se rapproche du point. En fait, le résultat obtenu par l'auteur, ru = 2.42 10-17 m, correspond à un électron d'énergie 50 Gev/c2, c'est-à-dire, ultrarelativiste : au repos, l'énergie de l'électron est de 0,511 MeV/c2, ce qui donne un rapport d'énergie de 100261.86, égal au facteur de Lorentz, de sorte que la vitesse de l'électron v ne diffère de la vitesse de la lumière c (par valeur inférieure) qu'à 5 10-11 près, soit 5 milliardièmes de % seulement. Quant à sa formule (8) de la densité d'unitons dans l'Univers, elle part du principe que cette densité est constante, alors que la densité de matière (ou de rayonnement) varie au cours du temps dans l'Univers et c'est le produit de cette densité par le "rayon de l'Univers" qui reste constant. En effet, l'expansion de l'Univers implique automatiquement que le rayon de l'Univers augmente au cours du temps, ce qui n'est pas le cas chez l'auteur, qui se limite à "l'Univers actuel". Et même sous cette condition, il trouve une densité de l'ordre de 10-8 kg/m3, alors que l'observation donne 10-29 g/cm3, c'est à dire 10-26 kg/m3 soit un écart de l'ordre de 18 ordres de grandeur (1 milliard de milliards): décidément, notre auteur semble un spécialiste du grand écart ! Ensuite, formule (9), il introduit une constante de gravitation variable au cours du temps, ce qui a été largement infirmé par l'observation, y compris dans les systèmes où la distorsion relativiste est importante (pulsars doubles, quasars) et n'a, de toute façon, aucune raison théorique d'être. Enfin, formule (10), l'auteur nous fait bien comprendre que la masse de son uniton n'est pas fixe, mais dépend du nombre N qui varie lui-même selon que vous le calculiez en vous basant sur la masse de l'électron ou sur celle du proton. Bref, le Principe de Simplicité (ou Rasoir d'Occam) dans toute sa splendeur... "My choice is done from the physical philosophical view that I consider the positron to be more fundamental than the proton": ah oui, désolé, je n'avais pas lu assez loin. Maintenant, c'est clair. "Future observations and experiments must decide which is the correct choice" : à mon humble avis, ça va être dur !...
Après cela, son analogie entre la propagation du son et celle de la lumière dans "l'espace uniton" (autrement dit, dans le vide), est plus qu'alambiquée: les raisons physiques qui conduisent à l'équation (11) sont totalement éludées. L'auteur nous dit que le son résulte des oscillations de particules. C'est vrai pour les solides (phonons), mais pas pour les fluides (liquides ou gaz) compressibles, où c'est une petite perturbation externe qui produit une alternance de compressions et de dilatations au sein du fluide. Dans ce cas, c'est donc une "onde de matière" (substantielle). Pour le vide, l'analogie avec l'état solide ne tient pas, c'est celle avec l'état gazeux raréfié qui prévaut. En (19), il trouve une vitesse de propagation égale à la vitesse de la lumière, mais plus loin, en (22), il nous montrera qu'en fait, c'est la vitesse minimale et qu'en conséquence, ses unitons se propagent au moins à la vitesse de la lumière. Il en déduit qu'ils peuvent servir à expliquer les expériences d'Aspect sur les faisceaux de protons corrélés, qui s'échangent instantanément leurs informations quel que soit leur éloignement dans l'espace, et à résoudre le paradoxe EPR (Einstein, Podolsky et Rosen). Mais, étant donné qu'il se base sur la relativité d'Einstein, ses unitons ne peuvent pas agir sur des phénomènes observables et mesurables car ce sont des tachyons : des particules qui se déplacent toujours plus vite que la lumière, qui sont purement hypothétiques du point de vue einsteinien car inobservables, puisqu'elles se situent à l'extérieur du cône de lumière, donc de la zone causale. Et contrairement à ce que pourrait laisser croire l'auteur en introduction, la relativité d'Einstein, restreinte ou générale, n'a jamais rejeté le concept de tachyon, elle l'a simplement rangé dans la catégorie des phénomènes physiques inobservables, donc hypothétiques, donc inutilisables. Nuance !
Je passe sur la dernière partie, consacrée à la physique antédiluvienne, pré-galiléenne, que l'auteur propose de remettre d'actualité. Des fois que ça apporte quelque chose de nouveau...
En résumé, beaucoup d'effets spéciaux pour une mauvaise série B. Pour un "Maître ès Science", c'est loin d'être convaincant.
Ph. VIOLA
26/02/2005
ERRATUM
Dans la présente critique, la densité de l'univers calculée par l'auteur est de l'ordre de 10^-18 kg/m3 et non 10^-8 comme je l'ai écrit. Toutefois, cela fait encore un écart de 10^8 avec l'observation, soit cent millions. On se croirait en théorie des supercordes... :-)
Ph. VIOLA
09/03/2005
Ce texte fait partie d'un ensemble d'articles de Philippe Viola publiés sur "Signes des temps". Vous retrouverez les autres articles en cliquant sur ce lien.
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