L'épisode du "gaz des marais" est souvent cité dans les discussions entre ufologues comme façon de discréditer J. Allen Hynek, conseillé scientifique du "Blue Book" dans les années 60 aux Etats-Unis. Pour y voir plus clair dans cette histoire, il peut être utile de connaître la façon dont Jacques Vallée raconte ces évenements dans son journal "Science Interdite" :
Chicago, mercredi 23 mars 1966.
Lundi, après le petit déjeuner, je m'étais installé à mon bureau à la maison pour travailler sur un programme : j'allumai la radio et ce que j'entendis m'apprit que tout avait changé.
Un bulletin d'information répété sur toutes les stations mentionnait les OVNI : quatre objets avaient survolé une ferme à 25 kilomètres d'Ann Arbor, dans le Michigan. L'un d'eux s'était posé dans un marécage à Dexter. On parlait de soixante témoins dont six policiers et toutes les étudiantes d'une résidence du Collège de Hillsdale. J'appelai Hynek à 9h pour le mettre au courant, ainsi que Don Hanlon.
Moins d'une heure plus tard, Hynek me rappelait. Il avait parlé à Quintanilla, lequel avait répondu que le cas ne l'intéressait pas, car il n'avait pas été officiellement rapporté à l'Armée de l'air !
- Ce n'est pas très scientifique, avait dit Hynek.
- Je m'en fous, avait froidement répliqué Quintanilla.
Hynek avait raccroché sans un mot. Une demi-heure plus tard, c'était Quintanilla qui le rappelait.
- Pouvez-vous sauter dans le premier avion et foncer dans le Michigan ?
- Je croyais que vous vous en foutiez, que le cas n'avait pas été rapporté officiellement.
- Depuis notre conversation, il a été rapporté.
- Par qui ?
- Par le Pentagone, nom d'un chien ! Les trois chaîne de télévision ne parlent que de ça. L'état-major est en ébullition.
Hynek devait donner un cours qu'il ne pouvait supprimer. Ce n'est que dans l'après-midi que nous avons pu nous réunir dans son bureau. Il décida qu'il partirait le lendemain matin, mardi et qu'il nous appellerait, Bill et moi, s'il avait besoin d'aide pour l'enquête. De notre coté, nous avons très vite réalisé que nous n'avions pas assez d'argent pour le rejoindre. Le maigre budget que lui attribue l'Air Force ne lui donne guère de latitude.
Mardi à 9h, Hynek s'en alla donc, malgré sa mâchoire cassée. J'avais suggéré à Bill d'utiliser le petit avion de Harry pour étudier le lieu de l'observation, mais rien ne fut décidé. Nous avons continué à faire de la spéculation intellectuelle au lieu d'agir ; et ma frustration n'a pas cessé d'empirer.
D'autre observations se produisirent pendant la nuit. Bill parla encore d'aller dans le Michigan. La radio annonça que Hynek allait peut-être faire venir d'autres membres de son "Comité OVNI", mais il différa cette décision. Hier soir, je réussis enfin à le joindre à Ann Arbor :
"La chose la plus importante que vous pourriez faire, ce serait de terminer la rédaction de notre proposition de recherche le plus vite possible", me dit-il.
J'ai donc sorti le document de mon tiroir et je reprends mon travail d'arrache-pied. Tant pis pour mon examen, il attendra.
Un blizzard s'est abattu sur tout le Middle West qui est maintenant sous trente centimètres de neige. Les routes sont impraticables, la température plonge. Et pourtant, la vague continue de se développer. Mardi dans la nuit, plusieurs personnes ont vu un objet de forme ovale à Normal dans l'Illinois.
La fièvre monte dans les journaux et à la radio. Hynek est royalement traité dans le Michigan. Il a deux sergents de l'Air Force à sa disposition, un chauffeur et une jeep. On sent clairement l'inquiétude des militaires. C'est la première série importante d'observations depuis l'article de Fuller dans le magazine Look. Un changement radical s'est produit dans l'opinion publique. La situation est mûre. Hynek devrait parler.
Chicago, samedi 26 mars 1966.
Deux coups de théâtre hier. D'abord la presse publie deux photos d'objets vus dans le Michigan. Je laisse tomber le journal avec écoeurement. Il suffit de posséder quelques rudiments d'astronomie pour voir que les deux photos sont de simples poses de Vénus et de la Lune. Les scientifiques se défilent, tandis que la confusion augmente dans le public. Les observations s'étendent maintenant de l'Illinois au Wisconsin : les quatres Etats bordant le lac Michigan sont donc impliqués.
Deuxième coup de théâtre à 16h : Hynek donne, à Detroit, sa conférence de presse tant attendue. Tous les journaux, toutes les stations de télévision sont représentées. Il offre son verdict final sur les deux cas d'Ann Arbor : gaz des marais ! Il réserve cependant son jugement sur les autres observations. Mais les journalistes se sont déjà rués sur les téléphones. Du gaz des marais, ça alors !
Maintenant, le témoin principal est ridiculisé dans sa propre ville. Pendant la nuit, ses voisins ont saccagé sa maison, brisant ses carreaux, lapidant sa voiture. Ils lui téléphonent à toute heure pour le traiter de "chef martien".
Plus tard, le même jour.
Hynek vient de m'appeler. Il éprouvait le besoin de m'expliquer sa déclaration de Detroit, devinant que je devais être très déçu, comme tout le monde.
- Il y avait tant de confusion, Jacques, vous n'avez pas idée du cirque que c'était ! Le cas n'était pas assez solide pour servir de support au lancement d'une véritable offensive. Je me serais retrouvé dans une situation très précaire.
- Et les observations d'Hillsdale ? Lui demandai-je. Soixante étudiantes ont affirmé qu'elles avaient vu les lumières à partir du Collège.
- Oui, je les ai interrogées aussi, mais je n'ai pas pu en tirer grand chose. Là encore, tout était très confus et les lumières qu'elles ont vues étaient faibles.
- Il ricana en ajoutant : autrement dit, ni les lumières, ni les filles n'étaient très brillantes.
- Vous auriez pu au moins réserver votre jugement, vous auriez pu dire : ce cas montre une fois de plus la nécessité d'une recherche, pourquoi la science ne pourrait-elle pas entreprendre une étude sérieuse ? Vous auriez pu montrer qu'il existait des modèles clairs, même si aucune observation individuelle ne prouve rien par elle-même.
Il soupira. - J'ai peut-être parlé un peu trop vite, mais il faut que vous comprenniez que tout le monde exigeait une déclaration, une explication immédiate. Dommage que vous n'étiez pas avec moi. Mais j'aurai au moins renforcé ma réputation de scientifique intransigeant auprès de mes collègues rationalistes.
Les autres de bandes dessinées s'en donnent à coeur jour, prenant pour cible cet astronome qui croit que les soucoupes volantes ne sont que du vulgaire gaz des marais.
Chicago, dimanche 27 mars 1966.
Un changement radical continue à s'opérer sous nos yeux dans l'opinion publique. Il est évident que les objets sont réels et tellement de bonnes observations se sont accumulées que les gens ont désormais accepté l'existence du phénomène. La déclaration de Hynek à Detroit était une telle caricature qu'elle a été violemment rejetée par le public - ce même public qui l'aurait ridiculisé et crucifié il y a un mois s'il avait demandé que l'on entreprenne une étude sérieuse avec l'argent des contribuables.
Il est difficile de penser clairement dans une telle période de crise. Le NICAP donne une conférence de presse demain à Washington. Et il se pourrait bien que cette fois le Congrès ouvre une enquête, ce qui fait très peur à l'Air Force.
Hynek vient de nous dire qu'appelé devant le Congrès, il ne cacherait rien. Il mettrait à nu les méthodes d'investigation plutôt tordues utilisées par l'Air Force. Il me demande aussi d'organiser une fuite en envoyant au NICAP, indirectement, une copie du texte intégral de sa déclaration ; elle contient une recommendation pour une étude scientifique que la presse a totalement ignorée :
L'Armée de l'air m'a demandé de faire une déclaration sur le résultat des recherches que j'ai menées jusqu'ici. Je suis heureux de le faire à condition qu'il soit clairement entendu que ma déclaration se rapportera aux deux événements principaux qui m'ont été communiqués : le cas de Dexter dans le Michigan, qui a eu lieu le 20 mars et un cas semblable qui a eu lieu à Hillsdale le 21 mars. Cette déclaration ne couvre pas les centaines d'observations inexpliquées. J'ai recommandé, en tant que consultant scientifique, que des chercheurs compétents étudient de tels cas dans le calme. Il est possible que ces observations soient de grande valeur pour la science.
Tous les journalistes, naturellement, ignorèrent ce préambule et se polarisèrent entièrement sur la fausse piste du gaz des marais. Mais il l'avait bien cherché. Pourquoi diable avait-il besoin d'ajouter : "un lugubre marécage est un endroit fort peu probable pour une visite d'êtres venant de l'espace !"
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Voici comment de son coté Donald Keyhoe considère cet épisode dans son livre "Les étrangers de l'espace" (voir notre bibliothèque ufologique). Keyhoe est le fondateur du NICAP, une des principales association d'ufologues américaine, et passait son temps à étudier grand nombre de témoignages en luttant sans cesse contre l'USAF, l'armée de l'air américaine. Pour lui, cet épisode du "gaz des marais" intervient au moment où les "germes d'une panique" peuvent être décelés aux Etats-Unis. Il explique dans les chapitres précédents comment l'USAF et la CIA tentaient de préserver le plus longtemps possible le secret des ovni (voir cet autre extrait illustrant la naissance du secret) vague après vague. Quelques mois venaient de s'écouler depuis la dernière vague d'ovni et les démystificateurs se sentaient rassurés quand d'un seul coup, en une seule nuit, des dizaines d'officiers de police se trouvaient témoins de lumières au comportement étrange.
En février 1966, les opérations des UFOs semblaient revenues au point bas. Des apparitions dignes d'intérêt se produisaient encore de-ci de-là; mais la grande crise semblait passée; l'Etat-Major reprenait son souffle.
Et tout à coup, sans préavis, la phase deux s'ouvrait.
Le grand événement devait se produire à Dexter, dans le Michigan, au cours de la nuit du 20 mars. Mais des dizaines d'officiers de police en avaient eu un avant-goût six jours plus tôt sans que la presse en parle...
Le 14 mars à 3 h 50 du matin, les shériffs adjoints B. Bushroe et J. Foster avaient vu plusieurs disques manoeuvrer au-dessus de Dexter. Puis, il y avait eu quatre UFOs en formation. Trois autres postes de police avaient signalé de semblables observations, et la base de Selfridge confirmait que son radar suivait les objets.
Bushroe, après avoir précisé en son rapport les observations faites, ajoutait
« C'est la chose la plus étrange que Foster et moi ayons jamais vue... Ces objets pouvaient se déplacer à des vitesses fantastiques, virer, grimper, piquer, s'immobiliser dans les airs avec une incroyable aisance de manoeuvre. »
Curieusement, les incidents du 14 mars avaient fait peu de bruit. Mais le 20, deux ou trois lumières étranges étaient signalées au-dessus de marécages près de Dexter. La nuit suivante, même phénomène près de Hillsdale, dans le Michigan.
En une nuit, l'excitation de 1965 réapparaissait. Les journalistes affluèrent à Dexter. Au Capitole, le leader de la minorité, Gerald Ford réclamait une enquête du Congrès. De nombreuses voix s'élevaient dans le même sens. Espérant ainsi apaiser les esprits, l'USAF dépêchait au Michigan le docteur Hynek. Son enquête débutait à peine quand du téléphone de l'Etat-Major jaillit un ordre péremptoire
« Tenir une conférence de presse demain matin. Présenter une explication pour toutes ces observations! »
Au cours des deux nuits des 20 et 21, des disques avaient été signalés et l'observation vérifiée.
Il s'agissait là de tout autre chose que de lueurs mouvantes au ras du sol. Pour les UFOs manoeuvrant en hauteur à grande vitesse, Hynek n'avait pas d'explication. Harcelé Dar l'Etat-Major, il choisit de concentrer l'attention sur les vagues lumières rôdant par les marécages. Devant les journalistes, il exposa que de la végétation des marais pouvaient émaner des gaz de décomposition combustibles. Sans attendre davantage, les journalistes coururent au téléphone, et l'histoire des feux follets du Michigan déferla sur toute l'Amérique. Jamais explication ne connut plus furieuse réaction.
LES FORCES AERIENNES SE MOQUENT DU PUBLIC titrait en première page la Tribune de South Bend. Le News Leader de Richmond accusait l'Etat-Major de faire bon marché des témoignages et de tenter de discréditer les témoins. Le Chronicle de Houston couvrait de sarcasmes l'USAF pour ses vains essais de ramener les UFOs à des fantasmes. Le News d'Indianopolis estimait que, seule, une enquête du Congrès pourrait apaiser les inquiétudes publiques.
Si ridicule paraissait la réponse imaginée par Hynek que l'on en revenait aux pires heures de 1965. Pour que rien ne manquât aux difficultés de l'Etat-Major, les experts en feux follets entraient en lice. Le docteur Albert Hibbs de l'Institut de Technologie de Californie démolissait l'explication. Les commentateurs de presse et télévision citaient M. Minnaert, l'auteur de The Nature of Light and Colour in the Open Air ("Lumière et couleur à ciel ouvert").
Minnaert rappelait que la décomposition des plantes dans les marais peut produire du méthane. En se dégageant, le méthane forme de petites flammes de 10 cm au plus de haut sur à peine 4 de large. Parfois elles sortent du sol, parfois elles brillent à quelques centimètres au-dessus. Il arrive que le vent les emporte à quelques pieds avant de les éteindre.
Hynek se faisait ainsi houspiller injustement; mais la cible principale demeurait l'USAF. Le grand journaliste Roscoe Drummond revenait à la charge, réclamant une nouvelle et vaste enquête. Les rédacteurs en chef des grands journaux, des membres du Congrès, tant républicains que démocrates, entraient dans la danse. Les caricaturistes et chansonniers se régalaient d'histoires de feux follets. Time, Life, Newsweek, et autres revues développaient le thème.
Et les réseaux de presse charriaient journellement d'une côte à l'autre les témoignages de pilotes, contrôleurs de vol, et autres professionnels de l'aviation.
Le problème se compliquait. Presse et radio diffusaient des « histoires à faire peur ». Le 23 mars un certain John T. King disait avoir tiré sur un UFO qui s'était approché de sa voiture. Il conduisait près de Bangor, dans le Maine, quand - selon sa déclaration à la police - il avait aperçu un disque volant à dôme, posé sur le sol, près de la route. Comme il approchait, ses lanternes s'étaient obscurcies et sa radio assourdie. Se croyant en danger, King aurait saisi son pistolet Magnum. Il aurait ouvert le feu au moment où le disque était à moins de quinze mètres. Au troisième coup de feu, le disque aurait décollé « à une vitesse terrifiante ».
Tout le mois, se multiplièrent les histoires d'UFOs percutant des voitures et des remorques. L'on n'y croyait guère, mais l'épreuve de l'USAF en était aggravée.
Donald E. Keyhoe - Les Etrangers de l'Espace - Editions France Empire 1973, pages 135-138
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